Institut français
d’archéologie orientale du Caire

IFAO

Catalogue des publications


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AnIsl056_art_08.pdf (0.7 Mb)
Extrait pdf de l’ouvrage :
Annales islamologiques 56
2022 IFAO
28 p.
gratuit - free of charge
La légitimation de la rébellion dans le sultanat mamelouk (XIIIe‑XVIe siècles). Discours juridique et pratique sociopolitique

Alors que la notion de conflit interne dans l’islam médiéval est associée à des connotations sacrées de fin des temps et d’explosion de la communauté des croyants, le cadre conceptuel qui l’entoure semble évoluer à l’époque mamelouke, tant est manifeste la fréquence de la fitna dans les chroniques. En même temps que le droit sur les guerres internes évolue dans le sultanat du Caire, les sources historiographiques montrent à quel point l’anathème n’est plus guère utilisé pour condamner les rebelles. Les fitna‐s deviennent alors systémiques, engagées dans le fonctionnement du régime comme un élément clef de son équilibre. Des fatwā‐s sont parfois promulguées pour condamner un rebelle mais généralement pour des crimes d’ordre civil plutôt que politique, et surtout, la plupart des révoltes ne donnent pas lieu à de tels actes juridiques. Ce sont les normes sociopolitiques et non les normes juridiques qui décidaient de l’éclatement ou non de rébellions : les émirs ou mamelouks invoquaient tantôt la capacité militaire du souverain, tantôt le consensus des émirs, tantôt les abus d’autorité, tantôt l’équité de la répartition des ressources et des honneurs pour justifier de tels soulèvements. Ce sont ainsi les normes de la pratique sociopolitique qui se sont imposées pour faire évoluer les normes juridiques et la nature du discours sur la fitna. Celle‐ci ne perdit toutefois pas ses connotations sacrées mais la sacralité se déplaça de l’histoire des origines de l’islam vers l’histoire du début du régime dit « circassien » pour condamner fermement la guerre interne et faire du rebelle triomphant non point le transgresseur mais le restaurateur de l’ordre et de la justice.

While the notion of internal conflict in medieval Islam is associated with sacred connotations related to the end of time or to the explosion of the community of believers, the conceptual framework around it seems to have evolved in the Mamluk era, so obvious is the frequency of the mentions of fitnas in the chronicles. While the law on internal war evolved in the Cairo sultanate, the historiographical sources show the extent to which the anathema was no longer used to condemn rebels. Fitnas became systemic, involved in the functioning of the regime as a key element of its socio‐political balance. Fatwas were sometimes issued to condemn a rebel, but usually for civil rather than political crimes. Moreover, most rebellions were not followed by such legal acts. Rather than the judicial norms, it was socio‐political norms that decided the outbreak of a rebellion. Amirs and Mamluks invoked either the military capacity of the sovereign, or the consensus of the amirs, or the abuses of authority, or the fairness of the distribution of resources and honors to justify such uprisings. Thus, the norms of the socio‐political practice prevailed in the evolution of the legal norms and the discourse on rebellion. The notion of fitna, however, kept its sacred connotations, but the sacrality moved from the history of the origins of Islam to the history of the early “circassian” regime. It was then used to condemn internal war and to make the triumphing rebel not the transgressor but the restorer of justice and order.