Institut français
d’archéologie orientale du Caire

IFAO

Catalogue des publications


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AnIsl045_art_03.pdf (0.71 Mb)
Extrait pdf de l’ouvrage :
Annales islamologiques 45
2011 IFAO
32 p.
gratuit - free of charge
Tāhart et les origines de l’imamat rustumide. Matrice orientale et ancrage local.

La fondation, dans la seconde moitié du IIᵉ/VIIIᵉ siècle, de la ville islamique de Tāhart, située à proximité d’un important centre urbain antique, constitue une étape politique majeure dans l’affirmation de la nébuleuse dite « ḫārijite » au Maghreb. Volontiers présenté comme le symbole d’un âge d’or de l’ibadisme, l’imāmat rustumide de Tāhart est également considéré par certains représentants de l’historiographie postcoloniale comme une préfiguration de la naissance d’une « nation » algérienne. L’idéalisation de l’épisode rustumide a néanmoins une origine bien plus ancienne, puisqu’une mémoire mythique de la ville se mit en place de façon précoce, dès le IIIᵉ/IXᵉ siècle. Disciple de Baṣra devenue – tout du moins dans le discours – l’émule et la rivale de Bagdad, Tāhart offre un cadre propice pour toute réflexion sur la constitution des premières « capitales » régionales de l’Islam, villes actives dans la constitution de réseaux économiques et politiques locaux, et revendiquant une autonomie certaine vis-à-vis du principal centre d’impulsion d’un empire qui se voulait universel. Nous dresserons d’abord un premier panorama des sources disponibles, afin d’y repérer les strates de mémoire constitutives de l’histoire de Tāhart. Nous nous limiterons ensuite aux récits relatifs à la fondation de la ville et aux origines du royaume rustumide, incarné par son premier imām : ʿAbd al-Raḥmān b. Rustum. Tout en repérant les contours d’un imaginaire urbain forgé au contact de modèles rivaux, nous nous pencherons sur la cité en tant qu’espace de représentation et de réalisation de l’imāmat. C’est ainsi que nous tenterons de comprendre comment l’usage d’un argumentaire servant alternativement de support à l’affichage de la matrice orientale du mouvement, ou à la revendication, grâce au registre de la šuʿūbiyya, d’un ancrage local, a permis de construire l’image d’un pôle adverse et inverse du califat ʿabbāsside.

Mots-clés : Maghreb central – ibadisme – Rustumides – Tāhart – récits de fondation – mémoires urbaines – généalogies dynastiques – modèles orientaux

The Islamic city of Tāhart was founded in the second half of the of 2nd/8th century, not far from an important urban center of classical Antiquity. Its foundation can be considered as a major step toward the development of the so-called « khārijī » movement in North Africa. The Rustumī Imāmate, which is often presented as the symbol of an Ibāḍī golden age, is likewise frequently considered by Maghribi postcolonial historiography as a forerunner of an Algerian « nation ». However, this idealization of the Rustumid historical sequence has an earlier origin: the mythical urban memory of Tāhart was established no later than the 3rd/9th c. Following Ibadi sources, Tāhart followed the model of Baṣra to become a rival and a competitor of Bagdad. However ideological and artificial this discourse might be, it provides us with a good setting for reflexion on the establishment of the first regional Islamic « capitals ». Indeed, Tāhart certainly ranks among urban centers which were able to create autonomous local economic and political networks, and to proclaim their independence from an imperial capital, which saw itself as a universal center. Giving a short review of the existing sources, we would like to stress first the successive strata that form Tāhart history. Focusing on the foundation narratives of the town, we will try to understand how contacts with competing models shaped a urban imagery and made Tāhart the stage for the advent of an ideal Imāmate, first protagonized by ˁAbd al-Raḥmān b. Rustum. We will thus demonstrate how the same arguments were alternately instrumentalized as an evidence for the Oriental matrix of the sectarian movement, or as a support for claiming, by the use of šuˁūbī rhetorics, its local roots. This two-faced ideology was however conceived as a single tool for creating an image of Tāhart as the polar opposite of the ʿAbbāsid califate.

Keywords : Central Maghrib – Ibadism – Rustumids – Tāhart – foundation narratives – urban memories – dynastic genealogies – oriental models