Guerre et paix dans le Proche-Orient médiéval (XIIe-XVIe siècles)
Responsables : Stéphane Pradines (IFAO) et Abbès Zouache (Ciham, Umr 5648, ancien membre scientifique IFAO); Osama Talaat (chercheur associé IFAO) ; Mathieu Eychenne (IFPO).
Participants : Benjamin Michaudel (MIT, Boston), Cyril Yovitchitch (IFPO).
Partenariat : Institut Français du Proche-Orient
Pratique de la guerre (histoire des techniques, des arts de la guerre – les armes, les techniques de construction, la stratégie et la tactique…)
Le processus d'accroissement du niveau technique de la guerre se lit tout autant dans les fortifications que dans l’armement, lequel évolue, tout au long de la période étudiée, sous des influences diverses – byzantine, arménienne, iranienne, turque, arabe. Les études en cours sur l'architecture militaire posent toujours la question des échanges auxquels les Croisades donnèrent lieu. Celle des fonctions des sites fortifiés n'est toujours pas résolue . Dans le domaine de l’armement, la part des traditions locales et de l’adoption d’armes exogènes reste à déterminer. Il semble bien, en Égypte comme dans le Bilâd al-Shâm, que l’on ait en permanence cherché à s’adapter aux nouvelles techniques de combat, et que les armes de ces contrées aient suivi une évolution analogue à celle de l’armement occidental. En Orient comme en Occident, les Xe et XIe siècles virent les cavaliers lourds s’imposer progressivement comme les « seigneurs de la guerre ». Doit-on pour autant négliger le rôle des fantassins sur le champ de bataille ? Par ailleurs, des soldats non professionnels ne participaient-ils pas à la guerre ? Pouvaient-ils être décisifs ?
Enfin, si l’on sait aujourd’hui que c’est un leurre que de reconstituer avec précision le déroulement des batailles, l’utilisation répétée de certaines tactiques peut être repérée, des stratégies d’ensemble reconstituées et leur efficacité interrogée. Sur les lieux de la guerre, au Proche-Orient, forteresses et murailles furent construites, développant de nouveaux modèles architecturaux et modelant jusqu’aux paysages urbains. Les armes, les techniques de monte, l’hippiatrie et l’hippologie furent à nouveau patrimonialisées (revivification de l’héritage abbasside) et subirent de nouvelles influences (avec l’arrivée des Mongols principalement).
Histoire sociale et économique
Légitimés par les élites civiles, les militaires, essentiellement Kurdes et Turcs, constituèrent des groupes sociaux qui mirent en œuvre des solidarités multiples. Quel fut leur degré d’intégration dans les sociétés proche-orientales ? La légitimité que leur conférait la lutte qu'ils menèrent, grâce à excellence guerrière, contre les infidèles, fut-elle suffisante pour leur assurer une insertion sociale ?
Les systèmes politiques que ces militaires contribuèrent à mettre en place peuvent désormais être étudiés de manière diachronique. L’on doit notamment s’interroger sur l’influence qu’exercèrent les Byzantins et les Perses sur les armées musulmanes, ainsi que sur les influences mutuelles entre les armées des différentes dynasties qui marquèrent l’histoire de l’Orient.
Par ailleurs, la guerre imposait la mobilisation de moyens toujours plus importants. In fine, les sociétés furent organisées par et pour la guerre. Est-il loisible de parler, pour l’époque étudiée, « d’économie de guerre » ? Plus spécifiquement, est-il possible d’évaluer les budgets militaires et leur impact sur le développement de ces sociétés ? Enfin, l’équipement et l’entretien des armées nécessitaient des infrastructures et une organisation qu’il serait opportun de connaître mieux.
Philosophie et discours de la guerre et de la paix
Les sources véhiculent des conceptions de la guerre et de la paix qui connurent des évolutions sensibles tout au long de la période envisagée. On peut distinguer discours théoriques et discours narratifs. Quelles définitions de la guerre et de la paix proposent-ils ? Les comparer permettrait d’identifier les influences. Se pose tout particulièrement le problème de l’existence d’une tradition pragmatique indépendante (ou semi-indépendante) de la tradition juridique. Les concepts de guerre sainte et de jihâd doivent être replacés dans leur contexte. À ce propos, comment analyser le concept de qitâl fî sabîl Allâh, obligation collective imposée à l’umma mais qui pouvait en fait être concentrée sur certains combattants ou leur être déléguée ? La guerre contre l’infidèle prit-elle le pas sur la guerre contre les « hérétiques » ?
La question de l’influence des Croisades sur la conception musulmane de la «guerre sainte» reste posée. Ainsi il semble que la renaissance des traités militaires, à partir de la deuxième moitié du VIe/XIIe siècle, soit étroitement liée à l’obligation de lutter contre l’infidèle. Ces traits sont encore mal connus et l’on s’interroge toujours sur l’importance et la qualité de la production d’époque mamelouke. Doit-on l’appréhender à la seule lumière des écrits d’époque abbasside ? Seules la constitution d’un catalogue et l’édition des textes encore manuscrits permettraient de répondre à une telle question.
Quant aux discours narratifs, ils doivent être mis en relation, comparés selon les sources de production. Il faudra déterminer ce qui les rapproche et/ou les éloigne les uns des autres. Sur un plan formel, identifier les structures narratives et donc les modèles sur lesquels les écrivains s’appuyaient, les thèmes récurrents, les topoi permettrait de se pencher sur l’idée que les auteurs, issus des sociétés étudiées, se faisaient de la guerre comme de la paix. Il conviendra d’analyser aussi les traités de paix, que l’on analysera en prenant en compte ce que nous disent leurs formulations de la place dans le monde que se représentent occuper les différents protagonistes, de l’image de l’autre qu’ils développent, et des modalités de la situation de paix.
Ces textes, ainsi que d’autres sources, seront en outre étudiés dans une perspective lexicographique, afin de contribuer à la constitution et à l’analyse de lexiques techniques concernant la monte, l’hippologie, l’hippiatrie ainsi que l’architecture militaire. Ils seront mis en perspective avec les éléments architecturaux et intégrés aux bases de données castellologiques.
Actions prévues : fouilles archéologiques des murailles du Caire – publication d’une monographie sur la muraille fatimide et ayyûbide du Caire – base de données castellologique commune avec l’IFPO – colloque co-organisé avec l’IFPO et publication en co-édition.
Transversalités : fouilles des citadelles de Syrie-Jordanie-Liban de l’IFPO.