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Maisons de France au Caire
Façade sur la rue Charif (anciennement al-Madabigh) de l’hôtel particulier Saint-Maurice, occupé de 1884 à 1937 par la représentation diplomatique française en Égypte. Cliché du photographe italien Beniamino Facchinelli, pris vers 1880 et conservé aux Archives centrales de l'art, Galerie nationale de Finlande, à Helsinki.
Cet hôtel particulier construit entre 1875 et 1879 par le comte de Saint-Maurice, grand écuyer du khédive Ismaïl, fut longtemps considéré comme la plus belle habitation du nouveau Caire voulu par le vice-roi. Elle s’élevait à l’angle des actuelles rues Charif et Qasr al-Nil, en vis-à-vis de l’éphémère hippodrome qui avait été installé au cœur du Caire khédivial afin d’offrir des spectacles équestres à la population.
La demeure avait été conçue comme un conservatoire de l’art architectural et ornemental du Caire historique, selon le principe du remploi de matériaux anciens pour les intérieurs. La récupération de grands décors historiques sur des chantiers de démolition à des fins de remontage dans de nouveaux emplacements était alors très en vogue dans le Paris du Second Empire et fut largement pratiquée aux États-Unis par la suite ; elle y donna naissance au concept de la period room, ces pièces historiques reconstituées dans de nombreux musées américains. L’hôtel particulier Saint-Maurice constituait l’une des plus anciennes applications de cette idée hors de France. Un grand salon à plan cruciforme, inspiré par les qâ’a des palais mamelouks et ottomans et revêtu de boiseries et de marbres anciens, en occupait le centre. L’enveloppe extérieure de la demeure fut dessinée dans un style néo mamelouk afin de s’harmoniser avec ses intérieurs. L’édifice fut détruit en 1937 lorsque la « Maison de France » se transporta à Gîza, mais ses précieux décors furent démontés avec soin afin de pouvoir être remontés dans la nouvelle chancellerie.
L’histoire de ces successives reconstitutions architecturales est détaillée dans Maisons de France au Caire : le remploi de grands décors mamelouks et ottomans dans une architecture moderne, BiGen 44, 2012, à partir de sources écrites et iconographiques variées, ainsi qu’à partir des décors conservés et de leurs inscriptions en arabe, dont illustration et traduction intégrales sont données pour la première fois. Cette monographie s’inscrit dans les travaux du programme Architectures cosmopolites de l’Ifao, qui vise à systématiser l’étude des relations entre identité politique, ancrage spatial et expression architecturale dans le contexte cosmopolite de l’Égypte moderne (1850-1960).
Mercedes Volait, historienne de l'architecture, directeur de recherche au CNRS