Institut français
d’archéologie orientale du Caire

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Méthode



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La datation par le carbone 14 : Méthode

 

Rappels théoriques

Le carbone est un des composants principaux de tous les organismes vivants. Tout atome est formé d’un noyau, composé de protons (portant une charge électrique positive) et de neutrons (charge électrique neutre), et d’un nuage d’électrons qui gravitent autour du noyau. La charge électrique négative des électrons compense celle des protons. La gravitation des électrons est régie par les lois de la mécanique quantique : un électron ne rayonne pas d’énergie lorsqu’il décrit une orbite stable correspondant à une énergie donnée. Lorsque cet électron passe d’un état stationnaire à un autre, il acquiert ou perd de l’énergie. Dans ce dernier cas, il émet un rayonnement. Un même élément chimique peut posséder des noyaux de configurations différentes se distinguant par le nombre de neutrons. Ce sont ses isotopes, le carbone en possède trois :

L’isotope 14C, instable, se transforme naturellement et spontanément en 14N stable (Azote), par l’émission d’une énergie sous forme d’un rayonnement ß-. Dans l’atmosphère, les teneurs des isotopes du carbone sont approximativement les suivantes :

 

Principe de la méthode

Le carbone 14 est un isotope naturel radioactif du carbone dont la production majeure est assurée dans la stratosphère par l’interaction de protons cosmiques avec des atomes d’azote et d’oxygène constitutifs de l’air. Ils forment des neutrons qui entrent eux-mêmes en collision avec l’azote de l’air notamment, pour former du 14C. Ces atomes de 14C s’oxydent ensuite sous forme de 14CO2, qui se diffusent et marquent uniformément le CO2 atmosphérique. 

Durant leur vie, plantes et animaux maintiennent des échanges constants avec l’environnement, ils absorbent et transforment du gaz carbonique (CO2). La teneur en 14C d’un organisme est alors sensiblement égale à celle du milieu dans lequel il vit, au fractionnement biologique près. Lorsqu’un organisme meurt, il n’échange plus avec son milieu et seule la quantité en 14C qu’il avait au moment de sa mort va décroître au cours du temps. La demi-vie du 14C, c’est-dire le temps nécessaire pour que la moitié d’une quantité initiale de 14C se soit désintégrée, est de 5730 ± 40 ans. L’âge d’un échantillon ancien peut ainsi être déterminé en mesurant le taux de 14C restant dans un organisme mort.

 

Calibration, âge radiocarbone et âge calendaire 

La méthode de datation par le 14C fut mise au point par W. F. Libby, qui reçut le prix Nobel de Chimie en 1960 pour « sa méthode d’utilisation du carbone 14 servant à déterminer l’âge en archéologie, en géologie, en géophysique et d’autres branches de la science ». 

Pour cela, il émit deux hypothèses :

1. Les échanges entre les différents milieux et l’atmosphère sont rapides comparés à la période de l’isotope 14C et la répartition du 14C sur terre est uniforme ;

2. La radioactivité 14C d’un organisme vivant actuellement est la même que celle d’un organisme ayant vécu il y a 50 000 ans, c’est-à-dire que la concentration en 14C de l’atmosphère est restée constante au cours du temps.

En réalité, la teneur en 14C de l’atmosphère n’a pas été constante au cours du temps et des fluctuations sont observées à l’échelle du millénaire comme de la décennie. Trois raisons principales sont identifiées :

– Une variation du flux de protons cosmiques entrant dans l’atmosphère ;

– Une variation de l’intensité du champ magnétique terrestre ;

– Des variations dans les échanges entre les différents réservoirs (atmosphère, biosphère, océan).

De ce fait, compte tenu des variations de production du 14C au cours du temps, la datation par le radiocarbone ne peut être considérée une méthode de datation directe. Il est nécessaire de « calibrer » les âges radiocarbone issus de la mesure physique, pour les convertir en âges « calendaires ». Pour cela, nous utilisons une courbe de calibration, actuellement IntCal13, qui reconstruit l’évolution de la concentration en 14C de l’atmosphère au cours du temps (Reimer et al., 2013). Elle est établie en mesurant la teneur en 14C d’organismes par ailleurs datés par d’autres méthodes de datation (dendrochronologie, désintégration dans la famille de l’uranium, etc.). Cette courbe n’est pas linéaire, sur certaines périodes, la teneur en 14C a fluctué pendant plusieurs décennies voire siècles entrainant des « âges-plateaux » qui augmentent considérablement les intervalles calendaires associés à la date 14C.

Par convention, l’âge radiocarbone est exprimé par une loi gaussienne centrée sur une valeur moyenne à laquelle est associée une incertitude s. L’âge calendaire est obtenu par la convolution, c’est-à-dire la multiplication mathématique, de cette loi gaussienne avec la courbe de calibration. Il est présenté sous la forme d’un (ou plusieurs) intervalle(s) de temps auquel est associé une (des) probabilités. 

Les résultats sont donnés à 95,4% ce qui signifie qu’il y 95% de chances que l’âge effectif de la mort de l’organisme soit contenu dans l’intervalle de temps proposé.

- Les âges radiocarbone sont exprimés en BP (Before Present)

- Les âges calendaires sont exprimés en calAD (Anno Domini)/calCE (Commun Era) et calBC (Before Christ)/calBCE (Before Commune Era), cal signifiant calibrated.

Exemple de calibration d'une datation radiocarbone de 3130 ± 30 BP. L'âge calibré est réparti en trois intervalles de temps dans lequel l'âge de mort de l'organisme peut se trouver avec une certaine probabilité de chance : - 1495 et 1477 calBCE, avec 3,3%   - 1458 et 1371 calBCE, avec 66,3% - 1359 et 1300 calBC, avec 25,8%
Exemple de calibration d'une datation radiocarbone de 3130 ± 30 BP. 
L'âge calibré est réparti en trois intervalles de temps dans lequel l'âge de mort de
l'organisme peut se trouver avec une certaine probabilité de chance :
- 1495 et 1477 calBCE, avec 3,3%
  - 1458 et 1371 calBCE, avec 66,3%
- 1359 et 1300 calBC, avec 25,8%

 

Les instruments de mesure

La datation par le 14C nécessite de déterminer la teneur résiduelle en 14C d’un organisme mort. Comme cette teneur est très faible, il faut des instruments de mesure suffisamment sensibles. La première technique, mise au point par l’équipe de W. F. Libby, repose sur la mesure de la radioactivité de l’échantillon. Elle s’est déclinée sous différentes formes de compteurs, notamment les compteurs à scintillation liquide (CSL). À la fin des années 70, des physiciens américains et canadiens proposèrent de compter le nombre d’ions 14C présents dans l’échantillon, plutôt que de mesurer sa radioactivité. C’est la naissance de la spectrométrie de masse par accélérateur (SMA). Aujourd’hui, ces deux méthodes sont couramment utilisées par la communauté radiocarbone, elles donnent des résultats comparables, avec des marges d’incertitudes quasi-équivalentes. Elles n’engagent pas, par contre, les mêmes quantités de matière et temps de mesure, la seconde permettant de travailler sur quasiment mille fois moins de matière que la première, avec un temps de mesures de quelques heures contre plusieurs jours.

1. mesure de la radioactivité à l’aide de compteurs à scintillation liquide (CSL)

L’échantillon analysé est converti en un composé, dans notre cas du benzène liquide, dont on mesure la radioactivité ß. Après nettoyage des éventuelles contaminations post-mortem, l’échantillon est brûlé pour former du gaz carbonique (CO2) et purifié des autres substances issues de la combustion. Le gaz est ensuite transformé en acétylène (C2H2) puis en benzène (C6H6). C’est la radioactivité de ce benzène, entièrement issue du carbone de l’échantillon, qui est mesurée dans un compteur à scintillation liquide. Chaque émission d’énergie lumineuse due à la désintégration d’un 14C, appelée photon, est comptée et l’ensemble sommé sur des intervalles de temps fixe. Plus un échantillon est ancien, moins sa radioactivité sera forte et vice-versa.

2. comptages isotopiques à l’aide d'un spectromètre de masse par accélérateur (SMA)

L’échantillons est transformé en gaz carbonique puis sous forme de graphite solide. Ce graphite est placé dans une source Césium pour être ionisé par bombardement avec des ions Cs+, et produire un faisceau d’ions carbone négatifs. Ce faisceau est conduit jusqu’à un analyseur magnétique qui permet une première sélection des ions 14C-, les ions 13C- et 12C- étant dérivés et les courants induits mesurés. Ce faisceau d’ions 14C- est ensuite dirigé vers un accélérateur de particules à deux étapes (type tandem), séparés par un gaz (stripper). Lorsque les ions 14C- entrent en collision avec ce gaz, ils sont épluchés pour former un faisceau d’ions positifs multi-chargés. Ils sont une seconde fois accélérés et dirigés vers un dernier analyseur magnétique permettant de ne sélectionner qu’un type d’ions 14Cq+, couplés à un déflecteur électrostatique assurant un dernier tri en énergie. Le faisceau d’ions 14Cq+ ayant passé toutes ces sélections est finalement compté à l’aide d’une chambre à ionisation. Plus un échantillon est ancien, moins il comptera d’ions 14C, et vice-versa.

 



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Radiocarbon dating Method

Brief reminders

One of the main components of all living organisms is carbon. Every atom is made up of a nucleus, composed of protons (carrying a positive electric charge) and neutrons (carrying a neutral electric charge), around which is gravitating an electronic cloud. The negative electric charge of electrons balances the positive electric charge of the protons. Electronic gravitation follows the quantum mechanics laws: an electron does not radiate energy when it describes a stable orbit corresponding to a given energy. When this electron moves from one stationary state to another, it wins or loses energy. In the latter case, it emits radiation. A single chemical element can have nuclei with different configurations that differ in the number of neutrons. Such elements are called isotopes, they are three for the carbon:

The unstable 14C isotope is naturally and spontaneously transformed into stable 14N (Nitrogen) by the emission of energy due to ß-radiation. The contents of carbon isotopes in the atmosphere are approximately as follows:

 

The principle

14C is a natural radioactive isotope of carbon. It is mostly produced in the stratosphere by the interaction of cosmic protons with nitrogen and oxygen atoms in the air. They form neutrons that collide with nitrogen to form 14C. These 14C atoms then oxidize under the form of 14CO2, which scatters and uniformly marks atmospheric CO2. When alive, plants and animals maintain regular exchanges with the environment, absorbing and transforming carbon dioxide (CO2). The 14C content of an organism is then approximately equivalent to the one of the environment in which he is living, once biological fractionation corrected. When an organism dies, it no longer exchanges with its environment and the 14C quantity it had at the time of its death will decrease over time. The half-life of 14C, i.e. the time it takes for half of the initial amount of 14C to be disintegrated, is 5730 ± 40 years. The age of an ancient sample can thus be determined by measuring the 14C remaining quantity in a dead organism.

 

Calibration, radiocarbon age and calendar age

The 14C dating method was developed by W. F. Libby, who has been awarded by the Nobel Prize in Chemistry in 1960 for "his method of using carbon-14 to determine age in archaeology, geology, geophysics and other branches of science”. 

To this end, he made two hypotheses:

1. Exchanges between different environments and the atmosphere are fast compared to the 14C isotope period and the 14C distribution on the earth is uniform;

2. The 14C radioactivity of a living organism today is the same as that of an organism who had died 50,000 years ago, i.e. the 14C concentration in the atmosphere has remained constant over time.

In reality, the 14C content in the atmosphere has not been constant over time and fluctuations have been observed on both the millennium and the decade scale. Three main reasons are identified:

- A variation in the flux of cosmic protons that enter the Earth’s atmosphere;

- A variation in the intensity of the Earth's magnetic field;

- Variations in the exchanges between different reservoirs (atmosphere, biosphere, ocean).

Given such variations in the 14C production over time, radiocarbon dating cannot be considered as a “direct dating method”. Radiocarbon ages deduced from the physical measurement have to be calibrated to be converted into "calendar" ages. For this, we use a calibration curve, currently IntCal13, which reconstructs the evolution of the 14C concentration in the atmosphere over time (Reimer et al., 2013). It has been established by measuring the 14C content of organisms that have also been dated using other dating methods (dendrochronology, decay in the uranium family, etc.). This curve is not linear. Over certain periods, the 14C content has fluctuated for several decades or even centuries resulting in "plateau-ages" that considerably increase the calendar intervals associated with the 14C date.

By convention, radiocarbon age is expressed by a Gaussian distribution centered on a mean value with the associated margin of error. The calendar age is obtained by convolution, i.e. mathematical multiplication, of this Gaussian distribution with the calibration curve. It is presented in the form of one (or more) time interval(s) to which is associated one (or more) probability(s). 

Results are given at 95.4%, which means that there is 95% of chance that the effective age of the organism’s death is contained within the proposed time interval. 

- Radiocarbon ages are expressed in BP (Before Present);

- Calendar ages are expressed in calAD (Anno Domini)/calCE (Common Era) and calBC (Before Christ)/calBCE (Before Commune Era), where cal means calibrated.

Calibration of a radiocarbon date 3130 ± 30 BP.  The calibrated temporal density is divided into three interval ranges in which the age of death of the organism can be found with a certain probability of chance - 1495 et 1477 calBCE, with 3.3%   - 1458 et 1371 calBCE, with 66.3% - 1359 et 1300 calBC, with 25.8%
Calibration of a radiocarbon date 3130 ± 30 BP. 
The calibrated temporal density is divided into three interval ranges in which the age of
death of the organism can be found with a certain probability of chance
- 1495 et 1477 calBCE, with 3.3%
  - 1458 et 1371 calBCE, with 66.3%
- 1359 et 1300 calBC, with 25.8%

 

Measurement instruments

14C dating requires measuring the residual 14C content of a dead organism. As this content is very low, sufficiently sensitive measuring instruments are required. The first technique developed by W.F. Libby's team was based on measuring the radioactivity of the sample. It has been extended under various forms of counters, including liquid scintillation counters (LSCs). In the late 1970s, American and Canadian physicists have suggested to count the number of 14C ions present in the sample, rather than measuring radioactivity. This has led to the development of accelerator mass spectrometry (AMS). Today, these two methods are commonly used by the radiocarbon community and are providing comparable results with almost equivalent margins of uncertainty. They do not, however, involve the same quantities of material and measurement time, the second making it possible to work on almost a thousand times less material than the first, with a measurement time of a few hours as opposed to several days.

1. Radioactivity measurement: liquid scintillation counting

The analyzed sample is converted to a liquid compound, in our case liquid benzene, whose ß-radioactivity is measured. After cleaning the sample of all its post-mortem contaminations, it is burned under the form of carbon dioxide (CO2), and purified of any other substances resulting from the combustion. The gas is then transformed into acetylene (C2H2), then into benzene (C6H6). What is measured in a liquid scintillation counter is the benzene radioactivity which is entirely derived from the sample’s carbon. Each light energy emission due to 14C decay, called a photon, is counted and the whole is added up over set time intervals. The older a sample is, the less radioactive it is and vice-versa.

2. Isotopic measurement: accelerator mass spectrometry (AMS)

The sample is transformed into carbon dioxide and then into solid graphite. This graphite is stored within a Cesium source to be ionized using Cs+ bombardment. It produces a negative carbon ions beam. This beam is steered to a magnetic analyzer allowing for a first selection of 14C-, while 13C- and 12C- ions are derived and their induced currents are measured. This 14C- beam is then directed to a two-stage particle accelerator (tandem type), separated by a gas (stripper). When the 14C- ions collide with this gas, they are peeled to form a multi-charged positive ion beam. They are then accelerated a second time and directed to a final magnetic analyzer. It allows for only one type of 14Cq+ ions to be selected, and is then coupled with an electrostatic deflector ensuring a final energy sorting. The 14Cq+ beam that succeed passing all these selections is finally counted using an ionization chamber. The older a sample is, the fewer 14C ions is counting, and vice versa.