Institut français
d’archéologie orientale du Caire

IFAO

Les correspondances diplomatiques dans l’Orient musulman (XIe - fin XVIe siècles)

Responsable scientifique principale : Denise Aigle (directeur d’études à l’EPHE, UMR 8167 "Orient et Méditerranée", laboratoire Islam Médiéval).

Responsables scientifiques secondaires : Reuven Amitai (Professor at the Hebrew University of Jerusalem), Michele Bernardini (professeur à l’Universita Di Napoli « L’Orientale », Dipartimento Di Studi Asiatici) ; François Déroche (directeur d’études à l’EPHE), Gilles Veinstein (professeur au Collège de France, Umr 8032, Études turques et ottomanes).

Coordinatrice scientifique : Marie Favereau (membre de School of Historical Studies, East Asian Studies).

Partenariats :

Collaborateurs : Ayman Fouad Sayyed (chercheur associé à l’IFAO), Jean-Louis Bacqué-Grammont (directeur de recherche émérite au CNRS), Michel Balivet (professeur à l’université d’Aix-en-Provence), Frédéric Bauden (professeur à l’université de Liège), Luca Berardi (doctorant à l’Université l’Orientale, Naples), Michal Biran (professor at the Hebrew University of Jerusalem), Ghada Boudi-Hassan (doctorante à l’université de Paris I), David Durand-Guédy(Chercheur à l’IFRI, Téhéran), Chiara Gallo (doctorante à l’Université l’Orientale, Naples), Tahar Mansouri (professeur à l’université de la Mannouba, Tunis), Colin P. Mitchell (Assistant Professor at Dalhousie University, Faculty of Arts and Social Sciences, Department of History), Angelo Michele Piemontese (Professeur à l’Université de Rome), Mansour Sefatgol (Professeur à l’université de Téhéran), Thomas Tanase (doctorant à l’université de Paris I), Anne Troadec (doctorante à l’EPHE), Eric Vallet (maître de conférences à l’université de Paris I), Nicolas Vatin (directeur d’études cumulant à l’EPHE), Abbès Zouache (Chercheur associé au CIAM, Lyon).

Définition du projet

Un recensement, une étude et une mise en perspective historique de la correspondance diplomatique des souverains musulmans, du XIe à la fin du XVIe siècle, quels que soient la langue et l’alphabet utilisés dans les lettres. Le projet se déroule autour de quatre axes principaux :


  1. Établir un corpus : isoler la lettre diplomatique comme document d’archive spécifique. Il est aujourd’hui nécessaire de prendre en compte l’existence de ce corpus qui n’est pas identifié comme tel dans les catalogues d’archives. Cet axe ne concerne que les documents originaux (traductions de lettres incluses si elles sont contemporaines). Les traités de paix et la correspondance personnelle des souverains ne sont pas pris en compte.
  2. Déterminer les conditions de production et de conservation de ces lettres. Cet axe nous mène à aborder la question du statut des archives et du rôle de la chancellerie dans les États musulmans. Dans ce contexte, il est utile de prendre en compte les registres de chancellerie, les chroniques, les récits de voyage ou tout autre type de sources contenant les textes de lettres diplomatiques. Ce corpus secondaire, qui est comparé au corpus des documents originaux, permet d’ouvrir le champ de la recherche à la question de l’archivage des lettres et à celle des motivations politiques ou des raisons pratiques d’une telle conservation. Étudier les différentes étapes de l’archivage nous permet également de distinguer les métiers impliqués dans la chancellerie et œuvrant à la conservation des lettres (secrétaires, interprètes, traducteurs...).
  3. Reconnaître l’existence de normes diplomatiques dans l’Orient musulman en abordant la question des modèles épistolaires. L’étude des manuels de chancellerie, qui présentent une forme idéalisée de la lettre diplomatique, est un outil indispensable à l’analyse des documents originaux et permet de guider ou de délimiter le questionnement méthodique qui est appliqué au corpus.
  4. Élargir le vocabulaire et les grilles d’analyse en diplomatique et en codicologie islamiques. Ce programme offre un cadre opportun à un renouvellement de la codicologie (qui porte traditionnellement sur l’étude des codex) appliquée à l’étude des lettres écrites sur rouleaux (volumen ou rotuli) voire même aux lettres transmises par les chroniques. On relève dans ces dernières de nombreux renseignements de type codicologique. Le travail sur le vocabulaire pourra s’enrichir d’une étude sur les dictionnaires ou lexiques bilingues et trilingues contemporains.

Problématiques

Multiplicité des formations étatiques et des traditions administratives

La temporalité choisie (XIe-XVIe siècles) nous place dans une perspective de longue durée qui permet de déterminer dans quelle mesure les documents des périodes plus tardives (XVe-XVIe siècles), plus nombreux à avoir été conservés sous leur forme originale, demeurent fidèles à des traditions antérieures et si les formules diplomatiques connaissent une évolution notable ou une certaine stabilité.

Le cadre géographique choisi, l’Orient musulman (al-Mashriq), s’étendait, à l’époque mongole, des confins de la Chine aux portes de l’Europe orientale, des plaines russes à la vallée de l’Indus et au cœur du monde musulman jusqu’au Proche-Orient. Cet élargissement de l’Orient musulman favorisa la circulation des hommes et des idées et la période de la domination mongole permit d’intenses échanges culturels. C’est le cas en ce qui concerne la diplomatique où l’influence chinoise est nettement perceptible. Par ailleurs, pour la première fois dans cet espace géographique, des souverains non musulmans gouvernèrent pendant plus d’une décennie des sujets musulmans. On peut donc poser l’hypothèse que cette situation nouvelle apporta des changements dans les conventions diplomatiques, lesquels ont pu perdurer après la disparition de l’Empire mongol dans les pays islamiques. La question des pratiques diplomatiques dans cette aire géographique a été peu étudiée par les historiens dans cette perspective de « longue durée » et de manière globale. Ce projet a pour objectif premier de pallier ce vide historiographique. Il permet également de « dévoiler » et de mettre en exergue la multiplicité du monde musulman oriental, dont la composante « arabe », à l’époque concernée, est devenue largement minoritaire. Ce fait est souvent occulté dans les « discours » historiographiques. Ainsi, l’attention est particulièrement tournée vers les mondes turko-mongol, persan et ottoman. Si, à travers ce projet, nous émettons l’hypothèse qu’il existe des normes diplomatiques dans cette vaste aire géographique, pour autant, il ne s’agit pas d’enfermer les traditions musulmanes dans une hypothétique unicité culturelle qui serait hermétique à toute influence extérieure. En réalité, nous avons affaire à un faisceau de traditions culturelles éclatées dans l’espace et évoluant dans le temps. Ainsi, de manière à refléter la réalité multiple de ces sociétés musulmanes et de leurs traditions administratives, nous ne jugeons pas opportun de nous limiter aux lettres en langue et en alphabets arabes et persans. Nous disposons de nombreuses lettres rédigées en chinois, en latin et en mongol. En outre, sans insister particulièrement sur le lien entre traditions chrétienne et islamique, nous préférons aborder ce programme à l’aune d’une forme « d’universalité » qui met en présence les grandes cultures de l’Orient musulman et celles de l’Europe.

Un corpus à trois niveaux

Les documents pris en compte dans ce projet sont de trois natures différentes :

  1. Les manuscrits originaux des lettres (et leurs traductions contemporaines certifiées) ;
  2. Les recueils de chancellerie (inšâ’, cartulaires...) ;
  3. Tout autre type de textes faisant mention ou description de lettres diplomatiques transmises dans les chroniques ou les récits de voyageurs occidentaux ou musulmans.

Une comparaison entre ces trois grandes catégories de sources nous permet d’entamer une réflexion sur la notion « d’original » en diplomatique et de traiter de la question des « faux » : quelle est la fiabilité des documents uniquement transmis par les chroniques ? Comment distinguer les mauvaises transmissions involontaires des forgeries volontaires ? En outre, les documents originaux que nous avons conservés sont confrontés aux textes tirés des chroniques dont on vérifie alors, en partie, la fiabilité.

Ce projet comporte ainsi un volet pratique : constituer de nouveaux outils de recherche et les mettre à la disposition de la communauté scientifique. Il s’inscrit dans une volonté de renouvellement des notions de corpus et de base documentaire. Il est temps, en effet, de mettre en commun des travaux sur la diplomatique persane, arabe, turque ou turcique et de faire le point sur les documents d’archives qui ne relèvent pas du codex mais du rotulus/volumen, supports ordinaires de la lettre diplomatique. Si on ne peut que constater et déplorer la disparition de nombreuses sources, en comparant les textes éparpillés dans les archives, les recueils de chancellerie et les mentions de lettres issus de chroniques ou de récits de voyage on peut pallier, en partie, les lacunes qui empêchent les chercheurs de produire des études d’ensemble sur ce thème. Réunir et confronter des enquêtes historiques particulières nous permet de tirer des conclusions d’une large portée et d’aboutir à une synthèse, laquelle, étant fondée sur les documents d’archives, a des effets pratiques indéniables (en nous donnant, entre autres, la possibilité de concevoir un manuel diplomatique et de codicologie islamiques appliqué à l’étude des lettres).

Le statut des archives dans les états musulmans

Nous l’avons évoqué à plusieurs reprises : la plupart des archives produites dans le monde musulman, aux périodes anciennes et médiévales, ont été perdues ou détruites. Très peu de documents nous sont parvenus sous forme de manuscrits originaux. En outre, dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’« archives silencieuses », documents dont nous ne pouvons retrouver le cheminement à travers le temps et l’espace. Nous ne possédons que très peu de données sur la manière dont ces actes étaient conservés et sur les pratiques archivistiques en général. En abordant la question du statut des archives dans l’Orient musulman et en établissant des liens entre différentes traditions étatiques, il est possible d’identifier ou de « reconstruire » une partie de ces pratiques, ce qui nous aide à comprendre les raisons ou les mécanismes qui ont présidé à la disparition de la majorité des corpus originaux. Cet axe nous permet d’entamer une réflexion sur la place et la fonction d’archives officielles et sur les notions de privé/public (peut-on parler d’archives semi-privées/semi-publiques ?) dans les États musulmans.

La langue de la diplomatie

Ce projet s’inscrit dans un renouvellement des problématiques en histoire politique de l’Orient musulman. L’étude des correspondances échangées entre les souverains de cette zone géographique (musulmans et chrétiens orientaux), mais aussi avec l’Occident latin (dont la papauté), permettra de montrer à quel point, loin de s’enfermer dans un prosélytisme religieux et identitaire, certains souverains (musulmans ou non) étaient capables de moduler leur discours dans un langage compréhensible par le destinataire. Les citations religieuses (bibliques ou coraniques selon les cas) en sont un témoignage tout à fait concret. Les écrits de ces souverains font preuve de véritables visées politiques avec ce que cela comporte de « calcul » et d’instrumentalisation. Il faudra ainsi prendre en considération l’existence d’une manipulation délibérée des formules ou des modèles épistolaires. Dans cette optique, il est pertinent d’aborder la question des « us de chancellerie ». En particulier, à propos des langues, thème majeur sur lequel nous possédons relativement peu d’études et aucun recoupement à grande échelle. Il s’agit de repérer quelles sont les expressions stéréotypées en diplomatie et, parmi elles, les formules coraniques et bibliques récurrentes. Il nous faut traiter également des choix d’écritures, styles et alphabets ainsi que du problème des traductions : dans quelles conditions les lettres étaient-elles traduites ? Les ambassadeurs doublaient-ils oralement le message écrit du souverain et, dans ce cas, en quelle langue s’exprimaient-ils, étaient-ils accompagnés de traducteurs ? Cet axe nous mène à aborder la question des professions liées à la diplomatie et à la chancellerie.

Calendrier (2008 – 2011)

Actions : Bilan sur les fonds d’archives, faire un survey et repérer les vides historiographiques, circonscrire le corpus – Publication de corpus de lettres – Rédaction d’un manuel de diplomatique et de codicologie adapté à ce corpus particulier – Élaboration d’une base de données recensant toutes les lettres diplomatiques des souverains de l’Orient musulman entre le XIe et le XVIe siècle – Colloques (l’un à Istanbul, l’autre au Caire).

Transversalités : Programme Documents et archives de l’Égypte antique et médiévale.